lundi 18 janvier 2010

ZELENKA : Biographie

Jan Dismas Zelenka (16 octobre 1679 à Louňovice près de Blaníkem en Bohême, aujourd'hui en Tchéquie - 23 décembre 1745 à Dresde) est un compositeur bohémien.

Jan Dismas Zelenka portait à l'origine un prénom différent mais nous ne savons pas pourquoi et dans quelles circonstances il décida de changer son prénom d'origine, à savoir Jan Lukas, pour celui d'un larron repenti, crucifié aux côtés de Jésus. C'est là l'une des premières énigmes entourant ce musicien tchèque parmi les plus grands compositeurs de l'ère baroque.
Le père de Zelenka exerce le métier exigeant de Kantor, c'est à dire d'homme « à tout faire » pour la musique dans son petit village de Louňovice, dominé par le légendaire Mont Blaník, au sud de Prague.
Ce père chef de chœur, organiste, instituteur vient avec sa famille de la Sumava qui fait frontière entre la République Tchèque et l'Allemagne. Il signera toute sa vie Georges (Jiřík) le bavarois et occupera les fonctions de kantor à Louňovice pendant... 48 ans.
Jan Dismas et son frère commencent à se familiariser à la musique et à chanter avec lui. On envoie le premier à Prague, à peine distant d'une trentaine de kilomètres où il va étudier chez les bons pères jésuites du collège du Klementinum, centre intellectuel de la contre-réforme réputé. Beaucoup de compositeurs tchèques baroques font leur apprentissage chez les jésuites qui s'étaient installés dans cette province rebelle et tentaient de monopoliser un enseignement religieux et artistique de qualité. Il écrira 3 cantates pour le Klementinum, sa première œuvre connue datant de 1709 les suivantes de 1712 et 1716. Parallèlement à ses études au Klementinum, il fréquente aussi Bohuslav Matěj Černohorský , moine de l'ordre des cordeliers, maître dans l'art du contrepoint, fortement influencé par l'école de la polyphonie vénitienne.
Il n'est pas étonnant que Zelenka, plus tard, demande à partir travailler en Italie avec Antonio Lotti (1667-1740), un des derniers grands représentants de cette tradition vénitienne. B.M. Černohorský est un personnage incontournable de l'histoire de la musique des pays tchèques. C'était très certainement non seulement un grand musicien mais aussi un pédagogue habile si l'on en juge par le nombre de compositeurs qui le fréquentèrent (Seger , Tůma, Habermann, Brixi ..). Malheureusement, une grande partie de sa musique disparut dans l'incendie qui détruisit sa paroisse.
Au collège du Klementinum, Zelenka entreprend des études humanistes, suit des cours de latin, de grec, améliore ses connaissances en allemand, apprend l'italien. Il chante à l'église Saint Nicolas de Malá Strana (petit côté de Prague). Cette grande église baroque somptueuse appartenait aux jésuites du Klementinum. En 1709/1710 il joue du violone ou violone grosso (contrebasse de viole) dans l'orchestre d'un riche mécène pragois, le comte (vraisemblablement Jan Hubert) Hartig. Il quitte Prague en 1710/1711 pour Dresde où on l'engage dans l'orchestre de la cour toujours au pupitre de contrebassiste. Zelenka sera entouré de quelques-uns des meilleurs musiciens de son temps dans les instruments à vent et instruments à cordes.
En 1697, le prince électeur de Saxe Frédéric Auguste Ier (il règne de 1697 à 1733) avait du se convertir au catholicisme pour hériter de la couronne du royaume de Pologne. Pour preuve de sa sincérité, il avait fait construire une nouvelle église qui était administrée par les jésuites de la province de Bohême. Ceux-ci n'hésitaient pas à y envoyer de jeunes musiciens tchèques servir la liturgie catholique laissant aux musiciens de la cour le soin de se produire pour des occasions plus solennelles et prestigieuses. Entre 1716 et 1719, Zelenka voyage. La réponse à sa demande rédigée sous forme de lettre écrite en 1712, signée du 31 janvier et accompagnée du manuscrit de sa messe de Sainte Cécile (1711) a pris plusieurs années mais l'autorisation est enfin accordée par le Prince Electeur. Zelenka a demandé à voyager pour étudier et se perfectionner en écriture en Italie, ce qui n'est pas une surprise mais aussi en... France. Il souhaite non seulement se perfectionner dans le style d'église mais pour la France, c'est le bon goût qu'il veut acquérir. Frédéric Auguste Ier avait une inclination pour l'art français. Chanteurs, musiciens, acteurs venus de France séjournaient et se produisaient dans la capitale saxonne. Zelenka aurait pu être un précurseur des autres compositeurs tchèques qui séjourneront plus tard en France au 18ème siècle.
Difficile de savoir comment Zelenka percevait cette musique. Il n'était sans doute pas ignorant dans ce domaine non plus (certaines œuvres de musique française étaient au répertoire de l'orchestre) mais dans son inventaire de sa collection de partitions, datant de 1735, il n'y a pas une œuvre de musique française répertoriée, au contraire des musiques italienne, allemande et tchèque qui abondent !
Imaginons malgré tout un court instant le compositeur contrebassiste arriver à la cour de Versailles, en découvrir son faste, sa musique omniprésente, rencontrer Delalande, Couperin, Marais... et revenir ébloui !
S'il ne réalise pas son voeu de séjourner en France, il partira bien en Italie via l'Autriche. C'est un petit groupe de compositeurs et musiciens de Dresde qui prend la route en 1716 avec Zelenka et non des moindres : Christian Pezold (1677-1733), Johann Georg Pisendel (1687-1755), et J.C. Richter (1700-1785), tous au service de la cour de Dresde à des postes importants. Le musicien originaire de Louňovice, s'accomodant des obligations de son service, est envoyé d'abord à Vienne pour se mettre à la disposition du prince héritier en quête d'une épouse.
Il ne serait pas surprenant qu'il soit aussi passé par Prague, sur la route entre les deux capitales. Il pourrait avoir apporté à cette occasion sa cantate composée pour le Klementinum en 1716. À Vienne, il rencontre J.J. Fux (1660-1741), maître de Chapelle de la cour impériale avec lequel il prend des cours qu'il aurait payé de ses propres deniers ! Le Bohêmien a 35 ans. Zelenka donne à son tour des leçons de contrepoint pendant ce séjour au flûtiste et hautboïste Johann Joachim Quantz (1697-1733).
Pour quelles raisons Zelenka étudie-t-il avec Fux à l'âge de 35 ans ? Zelenka aurait-il eu d'autres motivations que celles de se perfectionner dans le domaine de l'écriture ? Envisageait-il de quitter Dresde ? Fux avait lui-même voyagé en Italie. Il écrit au Prince Electeur, Roi de Pologne, que Zelenka est un compositeur accompli, qu'il n'a plus rien à lui apprendre, qu'il lui faut poursuivre maintenant son chemin jusqu'en Italie vers Venise à la rencontre d'Antonio Lotti (1667-1740).
Pendant que Zelenka va travailler vraisemblablement (il n'existe là non plus pas de certitudes) avec Lotti, Pisendel fréquente Vivaldi. Il se peut encore que pour cette raison le Bohémien et le prêtre vénitien se soient rencontrés. Dans tous les cas, l'inventaire de 1735 de sa bibliothèque indique qu'il possédait des œuvres du musicien vénitien. Il est possible qu'ensuite les autres musiciens aient continué dans la direction de Bologne, Padoue, Rome et Naples. Lotti fut invité quelque temps après à Dresde mais ne prolongea guère son séjour (1717-1719). Zelenka rentre (seul ?) via Vienne dans les brumes et les frimats saxons au moment du carnaval de 1719. Cette année là, Dresde reçoit la visite de G.F. Handel.
L'opéra de Dresde ferme en 1720 pour cause de scandale... Il rouvrira en 1726. Aussi les activités musicales de la Chapelle royale redoublent-t-elles. Johann David Heinichen (1683-1729), Maitre de Chapelle, Zelenka son assistant et G.B. Ristori, Directeur de la Chapelle polonaise, collaborent afin d'assurer les nombreux services et cérémonies et une production musicale de haut-niveau. Zelenka continue malgré des activités de compositeur de plus en plus lourdes à jouer de la contrebasse dans l'orchestre. Il assistera Heinichen jusqu'à sa mort en 1729.
En 1723 a lieu à Prague un événement exceptionnel. Charles VI de Habsbourg et son épouse Elisabeth Christine se font couronner roi et reine de Bohême. Ce geste symbolique d'une grande importance, non dénué d'arrière-pensées politiques, donne lieu à des festivités somptueuses.
Prague est alors la capitale d'une province de l'empire encore parcourue fréquemment de révoltes et de soulèvements paysans dus à une situation économique difficile et une lourde imposition. Les pays de Bohême, sous administration autrichienne, ont subi de longues années de guerres de succession où ils ont perdu une partie de leur territoire (la Lusace). Le 28 août 1723, dans un théâtre en bois construit spécialement dans les jardins du château de Prague, Caldara dirige en présence de Fux malade l'opéra « La Constanza e Fortezza » dans une mise en scène impressionnante de Giuseppe Galli-Bibieni (1695-1757). Le théâtre peut accueillir 4000 spectateurs et a été réalisé selon les plans de Galli-Bibieni lui-même. Pour l'anecdote, le théâtre sera démonté peu après et vendu en pièces détachées aux habitants du quartier juif ! Pour cet opéra le chœur et surtout l'orchestre sont prestigieux. Il y a là les meilleurs musiciens d'Allemagne, de Bohême, d'Italie, d'Autriche réunis pour la circonstance : Caldara, Tartini, Quantz, Buffardin, Veracini, Weiss, Tůma, Zelenka, un tout jeune inconnu, František Benda (1709-1786) et bien d'autres encore.
Zelenka a gardé depuis le début de sa carrière à la cour de Dresde un contact régulier avec son ancien collège. Pour cet évènement celui-ci lui a commandé un mélodrame. Cette commande porte un nom digne de ces festivités : le mélodrame de saint Venceslas ou la resplendissante couronne royale tchèque sous les branches de l'olivier pacifique et de la palme de la vertu.
Zelenka en dirige la préparation et la représentation à la bibliothèque du Klementinum le 12 septembre 1723 devant l'empereur et son épouse. František Benda (1709-1786), âgé de 14 ans, membre de la chapelle de la cour de Dresde, chante l'une des 8 parties solistes, toutes confiées, selon la tradition, à des tchèques ayant étudié ou étudiant encore au Klementinum. L'œuvre parcourue d'influences italiennes remporte un immense succès, certains aristocrates allant même jusqu'à préférer l'œuvre de Zelenka à celle de Fux. Le mélodrame dure plus de 3 heures. Il demande un effectif considérable dans sa forme intégrale (solistes, chœur, orchestre, danseurs, acteurs, figurants...). Jamais celui-ci ne sera repris plus tard ! Zelenka réutilisera seulement certains passages pour son Te Deum de 1724. Il aurait semble-t-il écrit aussi pour ces festivités plusieurs de ses pièces instrumentales pour orchestre. Elles sont datées précisément de l'année 1723 et portent la mention de Prague. Notre compositeur bohémien, fêté et admiré, heureux de ce séjour parmi les siens, peut rentrer à Dresde satisfait et avec l'espoir de succéder un jour au poste de maître de chapelle de la cour qu'il assiste désormais de plus en plus. Le pauvre Heinichen, fatigué, est débordé et n'a plus la force de répondre à toutes les sollicitations d'écrire de la musique pour le service de l'église. Zelenka en assume désormais l'essentiel tout en continuant d'être rémunéré comme instrumentiste de second rang...
Le prince-électeur, soucieux de rouvrir d'abord l'opéra a d'autres projets et le fait patienter. Zelenka commence à rédiger en 1726 l'inventaire de sa bibliothèque musicale qui a été conservé et contient des informations passionnantes sur le contenu de la collection et la connaissance de Zelenka de la musique de son époque. Pas une seule trace d'une copie d'un manuscrit de musique française dans cet inventaire comme il a été dit auparavant.
Heinichen meurt en 1729. Zelenka signe maintenant « Compositor di S : M :Re di Polonia » mais rien ne se passe, aucune nouvelle de sa nomination. G. B. Ristori, J.B. Volumier, espèrent aussi succèder à Heinichen. Entre-temps, une troupe de chanteurs italiens est arrivée et dans la capitale saxonne en 1730. Elle prélude à une autre arrivée, celle de Hasse en 1731. L'opéra revient à la mode...
La venue de Hasse et son installation à Dresde va bouleverser le destin de Jan Dismas Zelenka. Curieusement sa production commence à diminuer peu après même si son style compositionnel atteint son apogée avec les cinq messes des années 1736-1741, la Missa Sancti Trinitatis (1736), la Missa Votiva 18 (1739), la Missa Dei Patris (1740), la Missa Dei Filii (1740) et la dernière grande messe, la Missa Omnium Sanctorum datant de 1741. On trouve encore datant de cette période l'extraordinaire Miserere en do mineur (1738). Frédéric Auguste I meurt en 1733. Zelenka compose la musique de la cérémonie, les requiem et présente à l'automne, le 18 novembre 1733, à son successeur Frédéric Auguste II une émouvante requête pour être nommé au poste de maître de chapelle. Il y a si longtemps qu'il patiente ! Il demande également à ce qu'on lui rembourse certaines de ses dépenses datant de son passage à Vienne, un supplément de salaire pour avoir suppléer Heinichen avant qu'il ne meure et remplacé après.
« Après mon retour de Vienne, je me suis chargé, en commun avec le maître Heinichen, pendant de longues années de la musique sacrée du Roi, mais après le décès du maître Heinichen, j'ai composé et dirigé presque seul ; pour ces raisons, et pour obtenir les manuscrits musicaux étrangers que j'ai du faire copier tout comme mes propres pages, il m'a fallu dépenser presque la moitié de mon traitement actuel à mon plus grand détriment personnel...Ainsi je vous implore avec mon plus grand dévouement de bien vouloir daigner gracieusement me conférer le poste du maître de chapelle devenu vacant après le décès de Heinichen, en plus d'ajouter à mon salaire actuel une partie de son traitement à partir de sa mort ; également de m'accorder selon la disposition gracieuse de Sa Majesté quelque réjouissance pour les grandes dépenses que j'ai eues à Vienne tout comme ici pour les copies d'œuvres musicales... »
Cette supplique en français est encore accompagnée de 8 arias italiens (1733) destinés à montrer ses qualités de compositeur de musique profane. Zelenka avait manifestement compris que l'intérêt, le goût et la mentalité de la cour étaient en train de changer et se portaient désormais de plus en plus vers l'opéra. Un vent au parfum de bel canto napolitain souffle sur Dresde. Zelenka tente de « réactualiser » en partie son style musical mais en vain. L'intérêt pour sa musique commence à décliner.
Il n'est pas sur que Frédéric-Auguste II ait apprécié cette requête ou tout simplement ne goûtait-il plus le style de la musique, la personnalité du musicien tchèque ou encore nourrissait-il d'autres projets ? Il choisit le compositeur d'opéra Johann Adolf Hasse (1699-1783), de 20 ans son cadet, au poste de maître de Chapelle (1733). Sa femme, la cantatrice Faustina Bordoni (1700-1781) devient prima donna et virtuosa da camera de la cour électorale.
Zelenka est officiellement nommé compositeur d'église (Kirchen-compositeur) en 1735. Cette nomination ne change rien à sa situation psychologique et matérielle. Pire ! Sa production chute vertigineusement de 1741 à la fin de sa vie. Quel contraste avec la période 1723-1733 ! Il passe les dernières années de plus en plus isolé sans pouvoir entendre sa propre musique qui tourne le dos aux effets de mode et reste compositeur d'église jusqu'à sa mort le 23 décembre 1745. Dresde est menacée. Les troupes prussiennes de Frédéric II font le siège de la ville, la bombarde. Sa disparition passe presque inapercue. , il demeura à Dresde jusqu'à la fin de ses jours, en 1745 et fut enterré dans l'ancien cimetière catholique de Dresde.

La destinée de sa musique est restée longtemps incertaine. Les œuvres de Zelenka composées en Saxe ont continué à être jouées uniquement à Dresde jusqu'à la mort de Frédéric Auguste II en 1763 puis elles sont regroupées, soigneusement archivées dans la bibliothèque royale et tombent dans l'oubli.
Les œuvres manuscrites de Zelenka n'ont pas échappé aux bombardements de la fin de la deuxième guerre mondiale, deux cents ans après ceux des prussiens. Une partie conséquente de ce patrimoine a disparu définitivement. À moins... qu'on ne retrouve par miracle quelques manuscrits à l'occasion de la restitution d'archives d'europe orientale.
Zelenka et sa musique étaient connus et admirés de ses contemporains. Son nom est inscrit dans l'un des plus anciens dictionnaires de la musique, réalisé par JG Walther en 1732. Par contre il a disparu dans celui de Johann Mattheson, Grundlage eine Ehrenpforte 1740. Il manque aussi celui de Bach qui refusa de transmettre sa biographie à Mattheson ! Zelenka pourrait en avoir fait de même...
Bach et Telemann le rencontrèrent et correspondirent avec lui appréciant plus particulièrement deux caractéristiques de sa musique, sa science du contrepoint et son inventivité harmonique. Lorsque Bach rend visite à son fils Wilhem Friedmann, organiste à Dresde, il rencontre Zelenka et demande à copier certaines de ses œuvres mais ne s'en voit pas accordé l'autorisation. Le roi le refusa. Ni Bach, ni Telemann, ni Händel ne pourront le faire.

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