Le concert a commencé. Consciencieux, les
choristes ont le nez dans leur partition pour suivre les paroles, sinon pour lire la musique. Car traditionnellement, ils ne regardent jamais le
chef. Ce dernier fait pourtant tout ce qu’il peut pour attirer leur attention. Sauf entre les morceaux. Entre les morceaux, le chef tourne le dos aux choristes, pour saluer, et alors chacun se comporte à sa manière. L’un remet de l’ordre dans ses partitions, l’autre, croyant qu’on ne l’entend pas, glisse une pertinente plaisanterie à l’oreille de son voisin, beaucoup font un petit signe discret vers la salle où ils ont aperçu des amis (notons que certains choristes ont préféré, eux, supplier les leurs de rester chez eux), d’autres encore, ankylosés, changent de jambe, histoire de rééquilibrer leurs fameux appuis. Quelques enroués se raclent la gorge ou encore se grattent les fesses, les chefs de pupitres exécutent des mouvements d’assouplissement (torsion des cervicales et extension des mandibules), certains impatients, déjà épuisés par la position debout, se contorsionnent dans leurs souliers... bref, chacun se concentre à sa façon. Seuls, un ou deux, les yeux rivés au plafond et la bouche entrouverte, attendent placidement la suite.
De morceau en morceau, le concert avance
maintenant. Les pages s’enchaînent, avec plus ou moins d’incidents. De temps à autre le chef s’essuie le front, pas mécontent d’avoir surmonté une difficulté. Certes, on a oublié ses recommandations tant et tant serinées en répétition, mais seuls le trac et l’émotion en sont la cause.
Maintenant le chef se démène comme un gros ours. Du fond de la salle, on croirait voir un moulin à vent. Se rend-il compte que ce gros dirigeable est ingouvernable ? Selon les moments, il fronce les sourcils, ferme les yeux (il aimerait pouvoir se boucher les oreilles), il grimace, s’étonne, s’emballe, s’agite... Et tout le temps il mime les paroles des chants, en ouvrant bien grand la bouche et en articulant au possible afin que chacun puisse s’accrocher à ses lèvres. Parfois, emporté par la musique, il tressaute sur place, ou il se fait tout petit ; il déploie largement ses bras ou dirige du bout des doigts... Mais en toutes circonstances il est inquiet : « que vont-ils me faire maintenant ? »
Et cependant, sans que personne n'y croit vraiment, la musique s’écoule, agréable... A l’entendre, on dirait que tout est bien réglé, que chacun sait parfaitement sa partie.
On parvient ainsi jusqu’à l’entracte.
Pas mécontent d’être arrivé jusque là, le chef s’esquive le premier. Les autres le suivent. Fin du premier round.
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