Les usines BOURGEOIS, c’est tout un programme ! La patronne c’est Dominique, on l'appelle DO-MI car elle est atteinte d’une maladie professionnelle! C’est un petit lutin,... lutin qui marche comme ça, sur la pointe des pieds avec les bras pliés à l’horizontale : on croirait qu’è veut flotter. Moi, j’crois qu’c’est pou’ s’grandir ! On l’appelle quand même le chef.
Qu’est-ce qu’on fabrique aux usines BOURGEOIS ? Ha c’est tout bête en apparence : on fabrique des sons. On est réparti en 4 zateliers : un atelier soliprane qui fait des sons pointus qui font mal à la tête, un atelier Francesco Zalto qui fait des sons bizarres sur mesure, un atelier couinette pour les effets spéciaux hors normes et un atelier de bourdons qui fait des vrais sons, c’est l’seul !
Alors y en a qui font des grands sons, d’autres des p’tits sons, des sons longs, des sons courts, des sons intelligents, des sons sots souvent des sons si sots qu’on dirait des saucissons ! Y en a pour tous les goûts. Y en a qui font mimi dans l’dos, d’aut’es qui font dodo su’ l’sol , enfin bref, on est tous très occupés.
Avec ces sons, on fabrique toute une gamme de produits : des requiems, beaucoup de requiems, vous savez ces trucs qui sont faits sur mesure où qu’on a les pieds d’vant, on fabrique aussi des choraux, mais ça c’est plus dur, des messes, vous savez, ces machins à 2 ou 4 temps qui font un rafût de tous les diables etc, mais c’ qui est marrant c’est que, vu qu’on a des délais de fabrication de plusieurs mois, c’est bien rare quand celui qui nous a donné les plans est encore vivant l’jour où qu’c’est prêt.
Su’ l’plan d’la formation, on est vernis : on travaille tout le temps en petite formation ou en formation complète, on peut dire que c’est de la formation permanente. Même qu’on a eu not’e Bach, après 5 ans d’bataille avec DO-MI qu’aime pas trop ça (è trouve ça trop scolaire le Bach), on l’a eu de justesse pour Noël avec les oratorio de rattrapage.
Elle est radin DO-MI comme pas un. Par exemple, quand on a perdu un demi-ton ! On nous l’fait chercher dans tous les pupitres, su’ l’sol, partout...Ce foin qu’è’ fait !! Vous vous rendez compte : pour un demi-ton ! et pourtant des tons, on en fait des tonnes toute l’année, et p’is, quand on en a marre et qu’on soupire, souvent è’ nous autorise pas p’us qu’un d’mi soupir !! c’est pas croyab’e c’qu’elle est radin.
En matière de stock, c’est facile : ya pas de stock car on nous a dit qu’les sons ça s’conserve pas, y faut qu’ça soit consommé tout de suite, tout frais. C’est pareil pour les produits finis : on travaille que sur commande et tout est réceptionné par le dirlo d'emgissé et c’qui est marrant c’est qu’on l'voit jamais, mais alors ce jour-là, le jour de Môssieur l'dirlo où qu’y a personne, on voit arriver des tas d’mecs et d’bonnes femmes avec des tuyaux pour souffler d’dans, des planches à ficelles qu’y grattent désespérément et des bidons pour taper d’sus, ça fait un boucan de tous les diables qu’on s’entend p’us : on est complètement perdu, mais on s’en tape : on tape sur c’qu’on peut !
Au départ, quand on arrive dans les usines BOURGEOIS, on donne à chacun un pupitre qui s’met en bandouillère avec que’ques clés de sol, une de fa, des dièses, des bémols , des béquilles, des escarres, un crayon et une gomme. Mais c’est pas l’tout d’faire des sons, DO-MI est très exigeante, alors on recommence indéfiniment jusqu’à plus soif. En fait, ça fait beaucoup d’gâchis d’sons, c’est fou c’qu’on peut en j’ter, car ça s’récupère même pas. J’me d’mande comment qu’è s’en sort DO-MI ! C’est vrai qu’on est pas payé bien cher . Faut r’connaître qu’elle a des clients en or : y s’mettent tous d’accord pour venir le même jour pour prendre livraison dans une grande baraque toute froide et noire comme un puits, on les entasse sur des bancs comme des sardines, y voient rien, y comprennent rien de c’qu’on leur dit , y claquent du bec et pour finir y tapent dans leurs mains comme pour chasser les mites et y s’en vont très contents. Et pour tout ça y payent ! Y a vraiment des mazo. Tant mieux pour nous, faut en profiter ! C’est pourtant vrai qu’y zaiment ça car ils le disent à DOMI, mais l’plus comique c’est d’la voir , DO-MI, recevoir les compliments : la tronche pas possible !! Elle aime pas ça, à s’demander si elle a pas mauvaise conscience d’leur faucher leur pognon si facilement !
Mais alors, su’ l’ plan social c’est pas joli-joli. Pensez, d’abord y a une séparation des sexes honteuse : par exemple, dans les ateliers soliprane et zalto, et ben , y a qu’des gonzesses : pas un seul mec. Dans les deux autres ateliers, y a qu’des mecs. J’sais bien qu’y a des moments où on croirait qu’y a pas qu’des bonshommes, j’veux dire chez les couinettes, mais c’est une illusion. A la fin du XXème siècle, à l’époque des classes mixtes et des pantalons unisexes, cette partition est purement scandaleuse. En plus DO-MI ne cesse de nous répéter qu’une blanche vaut bien deux noires : on s’croirait en Afrique du Sud !! J’espère qu’ça n’aura qu’un temps, voire un demi-temps ! C’est pas tout ! Le coup des 35 heures, y a longtemps qu’on l’connait puisqu’on en est aux 35 heures par mois et puis pas payées 40 ! C’est plutôt payé avec des nèfles !
Sans parler qu’on travaille au noir , on peut dire doublement au noir puisque les équipes viennent toujours la nuit tombée. En plus de tout, on nous fait travailler le dimanche, ce qui est tout à fait contraire aux accords sociaux en sol mineur : où qu’on va comme ça, j’vous l’demande?
Les absences sont très contrôlées : DO-MI nous note, è’ nous pointe, è’ nous croche, exige des mots d’excuse, des confessions; mais ce sont des mesures qui n’ont point d’ portée. Ca n’facilite pas les recrutements qui sont gérés en flux ultra tendus mais encore une fois dans des conditions très inégalitaires. Par exemple, elle veux que les nouvelles de l’atelier soliprane é’ soient tout de suite capables de fabriquer de beaux sons, sauf si elles viennent avec un gars et dans ce cas-là, elles n’ont besoin de rien savoir, alors que chez les couinettes, les bonhommes sont tellement difficiles à dégoter qu’on leur demande seulement de savoir compter jusqu’à 4.
Et puis la discipline en atelier imposée par DO-MI, c’est épouvantable. Elle nous fait chanter en menaçant de fermer dès qu’on fait du bruit, on peut même p’us causer. E' vous r’garde avec son oeil de faucon et nous lance : “pauvre son!” : à une cédille près ç’était l’conflit social.
Heureusement, y a des syndicats dans chaque atelier, surtout à l’atelier zalto où y en a une qui s’fait toujours entendre, la grande, mais j’me d’mande si elle est pas d’mèche avec le Chef ? C’est une meneuse musclée qui s’occupe surtout de la ségrégation, je veux dire des partitions. Faut pas s’y frotter, c’est toujours elle qui hurle la première car elle est chatouilleuse comme un hérisson.
Oh, elle est pas vraiment méchante, DO-MI. Tenez, des fois è’ nous dit d' “respirez”, c’est gentil mais si fallait attendre qu’è nous l’dise à chaque fois pour le faire, on aurait l’temps de devenir comme des langoustes ! Respirez, d’accord, mais è’ dit aussi “respirez avec le bid” alors là j’y fous mon billet qu’si on lui bouche le nase, la DO-MI, elle a pas long pour tourner d’l’oeil, même en respirant avec son bid . C’est gentil qu’è’ nous autorise à respirer, mais attention, c’est qu’è’ compte tout : quand on cause p’us, è’ compte les silences, quand on en a marre, è’ compte les soupirs, même les demi-soupirs ... c’est vraiment une maniaque de la compta c'te chef.
Pour la restauration collective, c’est pas l’opéra-bouffe ! Y a pas d’cantine, y a qu’des cantiques, y a rien qu’du son. On est pas des ânes ! tout juste une flute ou une baguette, le dimanche pris’ au bar de mesure. C’est une demi-mesure qui plait pas. Parfois è’ nous accuse d’manger un temps, comme si ça nourrissait ! Pourtant on dit qu’avec son coude relevé, le chef en connait un rayon su’ l’picrate... et pou’ l’dessert, même pas un grand opéra. J’vous jure, c’est lamentab’e !
Alors vous m’direz, c’est qui qui dirige tout ça?
Y a bien un conseil d’administration que c’est DO-MI qui l’ commande
et qui comprend un chef des sons : c’est DO-MI
un chef des sous : c’est DO-MI
un chef des relations inhumaines : c’est DO-MI
un chef du protocole : c’est DO-MI
un chef des relations avec la clientèle : c’est DO-MI
et un chef des relations avec la direction : c’est DO-MI aussi !!
BREF, LE CHEF C’EST L’CHEF
J’voulais par cette lettre que vous vous rendiez compte de nos conditions de travail qui sont bien dures, mais finalement on s’y habitue et on repique chaque année pour une année d’plus car finalement, la DO-MI, on l’aime bien : c’est une bonne femme.
Ah, j’oubliais d’vous dire que c’qu’on fabrique est aussi appelé de la musique.
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